La procédure Dublin, les demandes d’asile en Union Européenne

I) Qu’est-ce qu’une « procédure Dublin » ?

Lorsqu’un étranger (ressortissant d’un Etat non membre de l’Union Européenne, ou apatride) souhaite déposer une demande d’asile en Europe, un dispositif spécifique va s’enclencher.

Il s’agit du Règlement Européen n°604/2013 du 26 juin 2013, appelé communément Règlement Dublin III (bien qu’il ait été fait à Bruxelles).

Ce règlement a pour fonctions exclusives de définir quel Etat de l’Union Européenne (ainsi que la Norvège, la Suisse, l’Islande et le Liechtenstein) doit étudier cette demande d’asile, et comment s’organise le transfert du demandeur d’asile entre deux pays d’Europe.

Il est important de préciser que la procédure Dublin ne sert en aucun cas à déterminer si la personne doit bénéficier de l’asile ou plus largement d’une protection contre le pays qu’elle a fui, mais seulement à déterminer quel Etat d’Union Européenne est responsable de l’étude de sa situation.

 

II) Comment est défini l’Etat responsable au moment du dépôt la demande d’asile ?

Lorsqu’un étranger vient demander asile dans un Etat d’Union Européenne, les autorités de cet Etat (les Préfectures en France), vont systématiquement rechercher si cette demande ne relève pas d’un autre Etat d’Union Européenne.

Pour cela, elles font utiliser plusieurs mécanismes de contrôles.

 

1°) Premièrement, l’étranger va être entendu lors d’un entretien, si nécessaire avec l’assistance d’un interprète. Cet entretien a notamment pour objectif de définir l’identité de la personne, son pays d’origine, quels Etats elle a traversé, si elle a déjà sollicité l’asile dans un autre Etat et si des membres de sa famille vivent au sein de l’Union Européenne. Ses empreintes digitales sont également relevées à cette occasion.

L’étranger reçoit alors une copie du compte-rendu de l’entretien, ainsi que deux brochures d’information, dans une langue qu’il comprend, concernant la prise d’empreintes, et sur la procédure Dublin.

 

2°) Deuxièmement, grâce aux empreintes digitales qu’elles viennent de relever, les autorités de l’Etat vont consulter deux fichiers de données européens : le fichier européen des visas (Visabio) et le fichier des empreintes appelé Eurodac.

Le fichier Visabio permet de vérifier si l’étranger a déjà obtenu un visa pour entrer dans un autre pays d’Union Européenne.

Le fichier Eurodac permet de déterminer si l’étranger a déjà traversé d’autres Etats d’Union Européenne (ou la Norvège, la Suisse, l’Islande et le Liechtenstein, aussi concernés par le Règlement Dublin III). Les empreintes du fichier Eurodac sont relevées à 3 occasions :

  • Lorsque l’étranger dépose une demande d’asile (les empreintes sont alors conservées pendant 10 ans dans le fichier) ;
  • Lorsque l’étranger est interpelé au moment où il franchit une frontière lui permettant d’entrer en Union Européenne (les empreintes sont alors conservées pendant 18 mois) ;
  • Lorsque l’étranger est interpellé alors qu’il se trouve en situation irrégulière dans un Etat et qu’il paraît opportun de vérifier s’il n’a pas déjà déposé une demande d’asile (les empreintes ne sont conservées que le temps de la recherche dans le fichier).

 

3°) Troisièmement et enfin, les autorités vont analyser ces informations et définir si un autre Etat membre est responsable de la demande d’asile.

Les règles sont les suivantes :

  • Si un autre Etat a déjà été ou est déjà en charge d’une précédente demande d’asile, il reste responsable de cette demande et de toutes les suivantes, que la première demande soit encore en cours, ou qu’elle ait déjà été rejetée ;
  • A défaut, c’est l’Etat par lequel l’étranger est arrivé au sein de l’Union Européenne (l’Italie, la Grèce, l’Espagne ou le Portugal dans la majorité des cas) qui est responsable de la demande d’asile, si cette dernière a été déposée moins de 12 mois après l’arrivée de l’étranger en Union Européenne ;
  • A défaut encore, c’est l’Etat dans lequel l’étranger a séjourné pendant plus de 5 mois consécutifs qui devient responsable ;
  • A défaut encore, c’est le dernier Etat dans lequel l’étranger séjourne qui est responsable de l’examen de la demande d’asile.

 

Il existe des exceptions à ces règles. Les principales concernent la situation des mineurs dont les intérêts sont préservés au maximum, celle des personnes dont des membres de la famille (la famille étant ici entendue de façon très restrictive) bénéficient déjà d’une mesure de protection (asile ou protection subsidiaire) en Europe, ainsi que celle des personnes qui ont déjà un titre de séjour ou un visa dans un autre Etat.

 

En outre, il est essentiel de préciser que le Règlement Dublin III prévoit que le transfert vers l’Etat censé être responsable de l’examen de la demande d’asile ne doit pas être réalisé lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que cet Etat connaît des défaillances systémiques dans la procédure d’asile ou les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, qui pourrait exposer les migrants à des traitements inhumains et dégradants.

Hélas, cette exception est rarement retenue par les juridictions (en France notamment), malgré certaines situations dramatiques et connues.

 

Enfin, chaque Etat dispose d’une « clause discrétionnaire » qui l’autorise à s’affranchir de tous ces critères et lui permet ainsi de décider d’examiner lui-même la demande d’asile d’un migrant.

 

III) La décision de transfert et les recours

Lorsque l’Etat saisi d’une demande d’asile estime que c’est un autre Etat européen qui est responsable de l’examen de cette demande, il envoie une demande de prise en charge à cet Etat, au moyen de formulaires standardisés. L’autre Etat doit alors répondre mais, son silence est considéré, au bout d’un certain délai, comme un accord tacite au transfert et à la prise en charge du demandeur d’asile.

Les délais impartis pour faire la demande de prise en charge, et pour la réponse de l’autre Etat varient en fonction des critères ayant permis de déterminer l’Etat responsable.

L’Etat où se trouve l’étranger dispose alors d’un délai de 6 mois pour transférer le demandeur d’asile vers l’Etat responsable. S’il laisse passer ce délai, il devient responsable lui-même et ne peut plus opérer le transfert. Il est à noter que ce délai passe à 12 mois si le migrant est emprisonné, et à 18 mois s’il a pris la fuite pour échapper à son transfert.

 

Avant de pouvoir transférer le demandeur d’asile l’Etat doit alors prendre une décision de transfert, en France sous la forme d’un arrêté.

Cet arrêté peut être contesté par la voie d’un recours gracieux ou hiérarchique (généralement très peu utiles en pratiques) dans le délai de deux mois, mais surtout par un recours juridictionnel devant le Tribunal administratif, dans le délai de 15 jours.

 

Attention, ce délai de recours n’est que de 48 heures (heure pour heure, minute pour minute, samedis, dimanches et jours fériés inclus) à compter de la notification de l’arrêté, si ce dernier est accompagné – ce qui est très souvent le cas en pratique – d’une décision d’assignation à résidence ou de placement en centre de rétention administrative.

 

Attention également, la demande d’aide juridictionnelle ne suspend pas le délai de recours.

 

Il faudra donc être extrêmement réactif pour exercer ce recours dans les délais. Le recours à un avocat n’est ici pas obligatoire mais vivement recommandé, comte tenu du caractère très technique de ces procédures. Certains Barreaux de France ont organisé des permanences afin d’aider les demandeurs d’asile pour ces procédures d’urgence.

 

IV) Faut-il faire un recours ?

Il est essentiel de consulter un avocat et/ou une association de défense des droits des étrangers pour vous aider à déterminer s’il est utile de faire un recours ou non.

 

Le recours a plusieurs effets importants. Le premier est qu’il suspend, jusqu’à ce que le jugement du Tribunal administratif soit rendu, la décision de transfert. Cela signifie que la Préfecture n’a pas le droit de transférer le demandeur d’asile avant que le Tribunal ait statué. Attention cependant, le recours ne suspend pas l’assignation à résidence ou le placement en centre de rétention administrative. Si l’étranger ne respecte pas l’assignation à résidence, il risque d’être considéré en fuite, avec pour conséquence grave de faire passer le délai maximal de transfert de 6 à 18 mois.

Le caractère suspensif du recours ne justifie cependant généralement pas, à lui seul, l’exercice du recours dans la mesure où, dans la majorité des cas, l’affaire sera jugée moins d’une semaine après l’arrêté de transfert.

 

L’autre effet essentiel est que ce délai maximal de transfert (de 6, 12 ou 18 mois selon le cas) est interrompu. Cela signifie donc que ce délai, s’il n’est pas expiré au moment du recours, repartira de 0 à partir de la date du jugement.

Si le délai maximal de transfert est en passe d’expirer, il sera donc peut-être plus judicieux de ne pas faire de recours.

 

Enfin, le jugement du Tribunal administratif peut faire l’objet d’un appel devant la Cour administrative d’appel, dans le délai d’un mois à compter de la notification du jugement.

Cependant, en la matière, cette voie de recours est rarement utile, d’un part en raison du peu de décisions favorables en appel, et d’autre part et surtout car l’appel n’est pas suspensif, ce qui signifie que le demandeur d’asile pourra (et certainement sera) transféré avant que la Cour administrative d’appel ait statué.

 

L’aide juridictionnelle n’est en la matière pas automatique mais les demandeurs d’asile, n’ayant pas ou peu de ressources en France, rempliront généralement les conditions pour en bénéficier.

 

Arnaud TOULOUSE, Avocat