YouTube, Facebook, Twitch, Instagram : Article 13 / Article 17, la fin de la liberté sur Internet ?

Le 17 avril 2019 est entré dans l’histoire d’Internet.

C’est en effet à cette date qu’a été définitivement adoptée et publiée la Directive européenne n°2019/790 « Sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique » et, avec elle, le fameux article 13 – devenu article 17 au fil des différents examens du texte – qui a tant fait parler de lui, pour avoir suscité l’une des plus importantes campagnes de contestation de l’histoire du web.

Vidéos explicatives par centaines, pétitions en ligne, articles annonçant la fin de la liberté et de la spécificité d’Internet, ou la fin de YouTube et des YouTubeurs, prises de position publique de plateformes comme YouTube (pourtant habituellement extrêmement réservée sur la scène publique) etc…

Tout ceci n’a cependant été que la partie immergée d’un colossal iceberg. Loin des regards du public, le lobbying qui a été mené, principalement par les plateformes de partage de contenu en ligne comme YouTube, Facebook ou Google News, auprès des représentants de l’Union Européenne, a dépassé tout ce qui avait pu exister auparavant, mettant ainsi la pression aux décideurs et cherchant à infléchir la direction qui semblait prise.

Quelques semaines après l’adoption de l’article 13 (devenu article 17), faisons le point sur ce qu’est vraiment ce texte et ce qu’il prévoit.

 

I)                   Qu’est-ce qu’une directive européenne ?

 

Pour bien comprendre l’article 17, il faut comprendre la nature de ce texte.

Il s’agit d’un article d’une directive européenne. Ce texte est une norme européenne, votée par le Parlement européen et le Conseil de l’Union Européenne.

Il existe deux types de normes principales en droit de l’Union Européenne : le Règlement européen et la Directive européenne.

Le Règlement européen est le texte qui se rapproche le plus de la Loi. Il contient des règles précises et identiques pour l’ensemble des Etats concernés. Il s’applique à compter de son entrée en vigueur, dans l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne, sans qu’il soit nécessaire de voter une Loi dans chaque pays.

Le fonctionnement de la Directive est différent. Il ne s’agit pas là d’adopter des règles uniformes et identiques dans tous les Etats de l’Union Européenne, mais plutôt de tenter d’harmoniser les pratiques et règles de ces Etats sans leur imposer une méthode ou une marche à suivre prédéfinie.

Le règlement unifie, la directive harmonise.

La Directive ne crée donc, par principe, aucun droit directement invocable par les citoyens de tel ou tel Etat. Elle prévoit seulement que, avant telle date, chaque Etat devra adopter une loi dite « de transposition » pour reprendre, interpréter et adapter ce texte dans son ordre interne. Tous les Etats de l’Union Européenne n’auront donc pas exactement les mêmes règles, mais ces différentes règles auront cependant un objectif et un cadre communs.

En l’occurrence, la Directive sur le droit d’auteur adoptée le 17 avril 2019 prévoit que la France, comme tous les autres Etats de l’Union Européenne, devront transposer cette directive avant le 7 juin 2021. Elle dispose donc d’un délai de deux ans pour mettre en application ces règles, et notamment l’article 17.

Il sera important de voir comment la France va interpréter et adapter ce texte.

Il sera également extrêmement important – plus que dans tout autre secteur – d’étudier à l’avenir comment chaque Etat interprète ce texte.

En effet, l’article 17 s’applique quasi exclusivement à des plateformes d’envergure mondiale, dont le contenu est accessible partout dans le monde. Il serait extraordinairement coûteux et complexe pour YouTube ou toute autre plateforme similaire d’adapter ses règles de fonctionnement à chaque pays d’Europe (en plus des adaptations imposées par les autres nations mondiales), en tenant compte des spécificités de la législation de chaque Etat.

Il est donc fort probable que l’on assiste à un phénomène d’auto-restriction maximale : concrètement, de telles plateformes de contenu auront naturellement tendance à adapter leurs règles de fonctionnement uniformément sur l’ensemble de l’Union Européenne de manière à respecter la plus contraignante des législations européennes, quitte à être plus restrictifs que nécessaire dans les autres Etats plus tolérants, de façon à se prémunir de tout risque de responsabilité.

On voit bien cette tendance notamment dans le développement croissant par ces plateformes (comme Twitch, YouTube, etc…) de système de blocage ou de démonétisation automatique de vidéos et contenus par l’intermédiaire d’intelligence artificielle détectant des risques de violations du droit d’auteur. Le développement de ses procédés illustre la volonté claire des plateformes de contenus de se prémunir contre tout risque de responsabilité, par anticipation des normes comme l’article 17, tout autant que celle de rassurer les annonceurs et partenaires commerciaux sur sérieux de ces acteurs, et la confiance qu’ils peuvent et doivent dégager pour assurer leurs revenus commerciaux.

La directive votée n’est donc pas une fin en soi, et il sera nécessaire de voir comment elle sera appliquée en France et dans les autres pays d’Europe.

L’article 17 ne peut donc constituer la fin de YouTube. Ce pourrait être alors le début de la fin ?

 

II)                 A qui s’adresse l’article 17 ?

 

Le célèbre article 17 (ancien article 13) régit la publication et la mise en ligne de contenu soumis à droit d’auteur par « les fournisseurs de service de partage de contenus en ligne ».

Cette notion longue et peu intelligible n’existait pas auparavant, elle est cependant définie à l’article 2 de la directive.

Ainsi, constitue un fournisseur de service de partage de contenus en ligne « le fournisseur d’un service de la société de l’information dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public l’accès à une quantité importante d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs, qu’il organise et promeut à des fins lucratives ».

On comprend bien que cette définition inclut naturellement les plateformes de partage de contenu telles que YouTube, Facebook, Twitter, Instagram, Twitch, etc…

L’un des précisions les plus importantes de cette définition tient à l’exclusion expresse de tout fournisseur à but non lucratif. Les encyclopédies en ligne sans but lucratif (Wikipédia en tête) ne sont donc clairement pas soumises aux règles de l’article 17 ; de même que des répertoires et plateformes de partage en ligne de bases de données scientifiques, éducatives, culturelles etc, … tant qu’elles n’ont pas de dimension lucrative.

Sont également exclus de l’application de cet article les services de cloud pour entreprises ou particuliers, dès lors que le contenu stocké en ligne par l’utilisateur n’est accessible qu’à lui-même et non à l’ensemble des utilisateurs du service de cloud. La solution est d’une pure logique et on ne voit d’ailleurs pas comment les règles du droit d’auteur auraient pu trouver à s’appliquer en pareil cas. Sous l’effet probable d’un intense lobbying, la directive prend tout de même le soin de le préciser.

On peut tout de même avoir quelques interrogations, qui ne manqueront pas de se poser en pratique et en jurisprudence.

Se pose par exemple la question de la condition de « l’accès à une quantité importante d’œuvres protégées ». A défaut de toute définition ou seuil, cette notion de quantité importante pourra être sujette à discussion.

Peut également se poser la question de certains services qui pourraient correspondre à cette définition et ainsi se voir appliquer l’article 17.

On peut penser, par exemple, à la série de jeux vidéo Super Mario Maker, éditée par Nintendo, dont le concept principal repose sur la possibilité pour tout possesseur du logiciel muni d’une connexion Internet de jouer à des millions de niveaux créés et mis en ligne par les autres utilisateurs dudit logiciel. Il s’agit d’un logiciel payant et ayant un caractère évidemment lucratif pour l’éditeur. Il faudrait alors considérer que Nintendo devrait légalement conclure des accords de licence avec Coca Cola pour le cas où des joueurs utiliseraient la marque dans leurs niveaux, ou avec les ayants-droits de Beyoncé si l’un des créateurs de niveau met en ligne un niveau reprenant une mélodie identifiable de l’artiste (Super Mario Maker permettant la création de niveaux musicaux) ?

L’idée parait folle, mais pourrait pourtant totalement correspondre à la définition légale de la directive, et pourrait donc trouver à s’appliquer. D’autant plus que l’argument serait transposable à tout autre jeu vidéo comportant, à titre principal ou accessoire une dimension importante de création et de partage de contenu par les joueurs eux-mêmes.

La directive nous livre donc en la matière des certitudes et des interrogations, sans pouvoir répondre à toutes les questions.

 

 

III)               Quels sont les principes essentiels de l’article 17 et les obligations des plateformes de partage de contenu ?

 

1°) Premièrement, les plateformes sont désormais considérées comme responsables lorsqu’un contenu est mis en ligne par un utilisateur par le biais de leur service.

Une forme de flou juridique existait jusqu’à présent, à laquelle la directive a légitimement tranché que la plateforme, dont l’activité lucrative repose sur le fait de permettre la publication et la mise en avant de contenus mis en ligne par ses utilisateurs, est responsable du contenu qu’elle diffuse.

La conclusion en est que lesdites plateformes doivent systématiquement conclure des accords avec les propriétaires de droits d’auteurs ou d’œuvres protégées, lorsque les œuvres mises en ligne portent atteinte au droit d’auteur.

L’article 17 précise ici de façon extrêmement importante que les accords de licence conclus par les plateformes avec les ayants-droits de marques ou œuvres couvrent également les actes accomplis par les utilisateurs de la plateforme « lorsqu’ils n’agissent pas à titre commercial ou lorsque leur activité ne génère pas de revenus significatifs ».

Cette disposition, appelées sans doute à de larges débats à l’avenir, entraîne un double niveau de responsabilité : ainsi, la plateforme est responsable vis-à-vis des auteurs et marques pour le contenu publié sur leur infrastructure en ligne, mais le créateur de contenu l’est tout autant.

S’ensuit deux situations :

  • Lorsque le contenu susceptible de porter atteinte au droit d’auteur est uploadé (mis en ligne) par un simple particulier sans dimension commerciale ou lucrative particulière, l’accord conclu par YouTube ou une autre plateforme couvre également la personne ayant créé le contenu, le protégeant ainsi de toute mise en cause de son éventuelle responsabilité ;
  • En revanche, lorsque le contenu en cause aura été mis en ligne par une personne agissant à titre commercial ou dont l’activité génère des revenus significatifs, l’accord conclu par la plateforme de contenu avec les ayants-droits ne vaudra que pour elle-même et non pour le créateur de contenu, qui serait donc supposé conclure lui-même un accord avec les ayants-droits, avant la diffusion de son contenu.

Il faut ici s’arrêter un instant pour approfondir le sujet.

Se pose ici d’une part la question de la définition – très floue hélas – de la notion d’utilisateur couvert ou non par les accords des plateformes, selon qu’il agit à titre commercial ou que son activité génère des revenus significatifs ; et ce d’autant plus que la définition pourra être interprétée différemment par les différents pays européens…

On peut penser que, à priori, la majorité des YouTubeurs entreront, hélas pour eux, dans la catégorie des créateurs de contenus qui ne seront pas couverts par les accords de YouTube et Twitch, puisque ces créateurs de contenus se définissent par nature comme des personnes cherchant à vivre de leur activité de publication de contenu. On notera d’ailleurs qu’un nombre croissant de YouTubeurs exercent désormais leur activité sous forme de société (SARL, EURL, SAS, …), et ont donc par nature une activité commerciale excluant la couverture par les accords des plateformes. D’autre part, on remarque qu’un nombre croissant de YouTubeurs recoure à des vidéos incluant une communication commerciale au profit d’une marque ou d’un produit donné (« vidéos sponsorisées » ou « opé spé »), afin de rentabiliser économiquement leur activité.

En outre, le critère de « l’activité générant des revenus significatifs » est non seulement plus clair (qu’est qu’un revenu « significatif » ?!), mais également difficilement à identifier en amont en la matière.

Prenons une nouvelle fois l’exemple de YouTube. Le système de monétisation mis en place par cette plateforme a pour particularité d’être directement corrélé avec le volume des « vues » du contenu publié. En clair, plus une vidéo YouTube est vue, plus elle génère d’argent (sous réserve des différents formats de publication, monétisés ou non, et des démonétisations pour atteinte au droit d’auteur justement).

Ce système fait qu’il est impossible, dans bon nombre de cas, de savoir à l’avance, même sommairement, combien de vues une vidéo va avoir et donc combien elle va rapporter à son auteur ; et tout particulièrement s’agissant des créateurs de contenu occasionnels, à la différence des créateurs de contenus professionnels dont le rythme de publication et le nombre d’abonnés permet d’avoir une idée (sommaire) de ce que pourrait générer une nouvelle vidéo sur un sujet donné.

Il faudrait donc considérer que le particulier ayant eu l’idée d’adapter de façon originale une œuvre musicale et qui l’aurait uploadé sur YouTube pour le diffuser à sa famille, ses proches et se faire plaisir, serait fautif de ne pas avoir conclu un accord de licence au préalable avec les propriétaires de l’œuvre originale, au seul motif que, contrairement à des centaines de personnes dans son cas, il aurait eu la chance que sa vidéo soit visionnée par des millions de personnes ? Cela répondrait effectivement à un objectif de protection efficace du droit d’auteur, mais la réponse ne donne pour autant pas véritablement satisfaction et nécessiterait des aménagements et des contours mieux maîtrisés.

 

2°) Si un contenu publié porte atteinte au droit d’auteur et n’a pas fait l’objet d’accords avec les ayants droits comme vu plus haut, la responsabilité des plateformes sera engagée.

Elles ne pourront échapper à cette responsabilité qu’en démontrant, de façon cumulative, les conditions suivantes :

  • Elles ont fourni tous les efforts possibles pour obtenir un accord des ayants-droits ;
  • Elles ont mis en œuvre tous les moyens pour rendre indisponibles les œuvres dont elles ont reçu les éléments et informations nécessaires par les titulaires des droits d’auteur ou de marque ;
  • Elles ont agi promptement, dès réception d’une réclamation suffisamment précise d’un titulaire de droit d’auteur, pour bloquer l’accès aux contenus y portant atteinte ou les retirer de leurs sites internet, et ont tout fait pour empêcher que ces contenus soient ré uploadés à l’avenir.

Il est précisé en outre que – dans l’objectif affiché de ne pas empêcher le développement de start-ups dans le domaine, ou de nouveaux acteurs – les plateformes de moins de 3 ans et ayant un chiffre d’affaire inférieur à 10 millions d’euros pourront échapper à toute responsabilité en démontrant avoir tout mis en œuvre pour essayer d’obtenir un accord des ayants-droits, à l’exclusion des deux autres critères posés. Si ces structures ont en moyenne plus de 5 millions de visiteurs uniques par mois, calculés sur la base de l’année civile précédente, elles devront également démontrer avoir tout fait pour éviter que les contenus en cause soient ré uploadés.

On notera par ailleurs que le texte impose donc aux plateformes de bloquer et supprimer tout contenu portant atteinte au droit d’auteur, à défaut d’accord avec les ayants-droits.

Le texte ne permet donc a priori pas l’application du système mis en place par YouTube, à savoir celui de la démonétisation. Ce système consiste non dans le blocage pur et simple du contenu en cause, qui reste disponible au public, mais dans le retrait du droit pour la personne l’ayant mise en ligne d’en percevoir les profits, ces derniers étant reversés à l’ayant droit, propriétaire de l’œuvre utilisée indument.

Ce système semblait pourtant intéressant à plusieurs points.

Il faut ici aborder une notion qui n’a pas été vue jusqu’à présent : la multi dimensionnalité des atteintes au droit d’auteur. Car entre l’utilisateur qui va publier sur une copie intégrale du Roi Lion en cherchant à générer des revenus en exploitant exclusivement la création d’autrui, et celui qui va créer sur son propre budget un moyen métrage entièrement original sur lequel apparaîtrait à la dix-huitième minute une canette de soda connue, chacun s’accordera sur le fait que l’atteinte portée au droit d’auteur n’a pas la même dimension.

Or, s’il peut paraître légitime de bloquer et supprimer purement et simplement le premier contenu en exemple, une telle sanction dans le second cas paraît contraire… au droit d’auteur lui-même, et en l’occurrence celui du créateur de contenu. Car il ne faut pas oublier – ce que la directive n’envisage portant pas – que les « créateurs de contenus » utilisant ces plateformes, et comme leur nom l’indique, peuvent également être protégés par le droit d’auteur.

En cela, le très faible éventail des mesures exonératoires de responsabilité pour les plateformes tranche radicalement avec le principe posé à l’article 18 (l’article suivant) de la directive, à savoir celui d’une rémunération « juste et proportionnée » des auteurs. Dans l’exemple en cause, il eut sans doute été plus juste et proportionné de calculer, le cas échéant, si l’atteinte au droit d’auteur ou de marque dans la vidéo originale a eu une incidence sur l’intérêt de la vidéo et a pu générer un préjudice pour le titulaire du droit, de façon à calculer un pourcentage des revenus tirés de cette vidéos devant être reversés à l’auteur ou la marque.

On pourra noter, pour conclure, que le système de la démonétisation (sans doute actuellement trop manichéen, tel qu’appliqué par YouTube) est pourtant plus intéressant, financièrement et en termes de publicité, pour les auteurs, que la suppression pure et simple de tout contenu quel qu’il soit.

On peut donc dresser le constat d’une faiblesse du champ de décision laissé à la plateforme sur la mesure la plus adaptée en cas d’atteinte au droit d’auteur. C’est peut-être là la plus grande limite de ce texte.

 

3°) Troisièmement, le texte précise, assez peu utilement, que l’article 17 n’empêche pas la publication de contenu ne portant pas atteinte au droit d’auteur. L’évidence est de mise.

En revanche, le texte ajoute plus utilement que, en particulier, les utilisateurs publiant du contenu pourront échapper à toute atteinte au droit d’auteur lorsque le contenu utilisé relèvera du droit de critique, de revue ou de citation, ou encore de la caricature, de la parodie ou du pastiche.

La précision est essentielle car elle permet d’écarter de la « censure artistique » tous les contenus de critique au sens large, et de détournement parodique.

« C’est en copiant qu’on invente » professait Paul VALERY.

Et effectivement, si l’article 13 (désormais article 17) a tant soulevé la colère d’Internet, c’est en raison de la conviction profonde que la liberté revendiquée d’Internet constitue pour une large part une liberté créative. Memes, let’s play, vlog, etc… force est de constater que nombre de formats de contenus spécifiques au numérique et aux plateformes de partage, qu’on les aime ou les rejette, ont une dimension très créative, tout en étant souvent directement tirés de l’inspiration ou de la volonté de tourner en dérision notre socle culturel commun.

Les dispositions de l’article 17 sur ce « droit à la parodie » sont cependant très peu détaillés, et les différentes transpositions par les Etats membres nous indiqueront comment ce droit s’articule en pratique.

Il est notamment à craindre un droit invocable uniquement à posteriori, c’est-à-dire que l’utilisateur pourra clamer seulement une fois son contenu supprimé, pour contester cette suppression. Or, compte tenu de la nature de ces dispositions, il serait plus logique et protecteur que des mécanismes soient mis en place pour au contraire éviter que les contenus relevant du droit de critique ou de parodie ne puissent être supprimés ou bloqués indument.

 

4°) Les plateformes devront en outre tenir à disposition des ayants-droits des informations sur leurs pratiques en matière de respect du droit d’auteur. Ce point n’appelle pas d’observations particulières. On peut seulement regretter que ne soit pas symétriquement prévue une obligation d’information des créateurs des contenus sur les pratiques de la plate-forme en matière de respect du droit d’auteur.

 

5°) Les plateformes ont toutefois l’obligation de mettre en place des dispositifs de plaintes et de recours rapides et efficaces à la disposition des utilisateurs en cas de blocage de leur contenu qu’ils contesteraient.

Le texte précise que les décisions de blocage ou de retrait des contenus doivent faire l’objet par la plateforme concernée « d’un contrôle par une personne physique » (sous-entendu : pas une intelligence artificielle). Cette expression implique donc que les décisions de blocage et retrait peuvent être prises par un algorithme ou une intelligence artificielle, tant qu’une personne physique assure le contrôle de ces décisions. Il s’agit donc d’une exigence intermédiaire entre le tout numérique illégal, et le tout humain ; même si rien n’interdit à une plateforme d’assurer la prise de ces décisions exclusivement par des êtres humains – mêmes si l’algorithme a pour réputation d’être infiniment plus rapide et « efficace » qu’un humain…

Des structures de recours amiables doivent coexister avec la possibilité de recours en justice.

 

6°) Enfin, le dernier paragraphe de l’article 17 indique que, à compter du 6 juin 2019, la Commission de l’Union Européenne organise, avec les Etats membres de l’Union, des dialogues entre les parties intéressées (plateformes, utilisateurs et titulaires de droits d’auteurs) « afin d’examiner les meilleurs pratiques pour la coopération entre les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne et les titulaires de droits. » Après consultation de ces acteurs, la Commission devra émettre des orientations sur l’application de l’article 17. Il est précisé qu’il devra alors être tenu compte de la nécessité de maintenir un équilibre entre la protection du droit d’auteur et les exceptions rappelées ci-avant (droit de critique, droit de parodie).

Cette disposition laisse dubitatif, à plusieurs points. Il est tout d’abord assez déconcertant de constater qu’une directive a été adoptant, posant des règles, et imposant aux Etats de les appliquer dans les 2 ans à venir, tout en indiquant, sans délai précis mais selon un planning nécessairement long, qu’une concertation va devoir avoir lieu pour déterminer comment concrètement adopter cette directive.

De l’art de voter des normes sans avoir idée de comment les appliquer…

On peut s’interroger pareillement sur la raison pour laquelle cette fameuse concertation entre les créateurs de contenus, les plateformes et les représentants d’auteurs n’a pas été menée avant d’adopter ce texte, pour définir ensemble les règles à appliquer.

Enfin, on peut noter le déséquilibre aujourd’hui évident entre les forces en présence. On sait le poids que possèdent les structures de défense des auteurs à l’heure actuelle. On connait aussi la puissance financière et médiatique colossale des plateformes telles Facebook, Twitter, YouTube… En revanche, qui peut aujourd’hui représenter sur la scène européenne la communauté des utilisateurs de ces plateformes (à titre individuel ou professionnel) ?

Il est donc à craindre un déséquilibre abyssal des forces en présence. Or, il est illusoire de qualifier de concertation le fait de placer dans un même enclos un tigre, un lion, et une antilope…

Enfin, on notera que cette concertation ne doive servir qu’à élaborer des orientations, sans valeur contraignantes, et qui donc n’auront pas valeur d’obligations fermes.

 

Ainsi, et en résumé, l’article 17 n’apporte pas le raz-de-marée de censure tant craint et professé. Il est cependant à craindre que, au fil du temps, il n’aboutisse à une binarité manichéenne qui se dessine déjà (contenu accessible / contenu supprimé), dans laquelle, de façon globale, toute forme d’appréciation humaine et concrète finisse par disparaître, aux termes de procédures rapides mais pauvres en appréciation et marge de manœuvre. Or, Internet s’est construit sur sa richesse de contenus, d’interactions et de possibilités.

Enfin, il est à craindre une précarisation de la situation des créateurs de contenus professionnels (YouTubeurs), dont les obligations sont croissantes, alors qu’il s’agit bien souvent de petites ou très petites structures.

La solution, qui commence déjà à poindre, sera peut-être pour eux le regroupement et la mise en commun de moyens techniques, organisationnels, juridiques, et en termes de gestion des questions de propriété intellectuelle.

Arnaud TOULOUSE

Avocat