27 Août 2020

Attention à la force probatoire des expertises amiables

I. Introduction

Lors d’une procédure judiciaire contentieuse, c’est – sauf exception – à celui qui présente une demande de prouver les faits qui justifient son action. L’action 6 du Code de procédure civile ne dit pas autre chose.

Or, il est des situations et matières dans lesquelles les modes de preuves les plus simples (documents, photographies, attestations, constats d’huissier, etc…) s’avèrent insuffisant pour éclairer correctement le Juge.

C’est tout particulièrement le cas dans les litiges en matières automobile et immobilière. En effet, pour – par exemple – prouver qu’un véhicule acheté auprès d’un garagiste professionnel est affecté d’un vice caché justifiant la résolution de la vente, il faut non seulement prouver que le véhicule est en panne et inapte à son utilisation normale (ce qui est généralement le plus évident), mais encore prouver que ce défaut répond à la définition légale du vice caché. Il faudra encore prouver que ce vice caché était déjà présent au moment de la vente car, à défaut, le vendeur ne saurait en être jugé responsable et il ne saurait justifier la résolution du contrat.

Ainsi, lorsque la preuve justifie l’intervention d’un technicien d’un domaine particulier, il faut recourir à un mode de preuve spécifique : l’expertise.

II. Présentation de l’expertise.

Par cet acte, un expert du domaine concerné va examiner la situation et se prononcer sur des éléments factuels, en réalisant non seulement un constat objectif de la situation, mais encore en se prononçant sur des aspects techniques (en indiquant par exemple s’il considère que les travaux opérés au sein d’une habitation sont ou non conformes aux règles de l’art). C’est principalement en cela que l’expertise se distingue du constat d’huissier, lors duquel l’Huissier de Justice doit se contenter de constater une situation factuelle, sans jamais en tirer de déductions, appréciations ou conclusions (article 1er de l’Ordonnance n°45-2592 du 2 novembre 1945).

Il existe cependant deux types d’expertises bien distinctes :

  • L’expertise judiciaire, c’est-à-dire l’expertise ordonnée par une juridiction, qui va ainsi désigner l’Expert missionné, le remplacer si besoin, lui préciser s’il peut se faire assister d’un autre technicien (appelé sapiteur) si nécessaire, fixer les termes de sa mission et le délai qui lui ait imparti pour rendre son rapport définitif ;
  • L’expertise privée ou officieuse, improprement mais extrêmement couramment appelée expertise « amiable » (alors qu’elle n’a généralement rien d’amiable puisque c’est précisément parque les parties concernées sont en désaccord qu’elle est organisée), qui est diligentée à l’initiative d’une ou plusieurs des parties, en dehors de tout cadre juridique, et sans intervention d’une juridiction.

L’expertise dite « amiable » est très souvent réalisée à l’initiative d’une assurance, soit en tant que partie elle-même au litige, soit en sa qualité d’assureur d’un des intervenants au litige.

Pour autant, et avant d’engager ou d’accepter la tenue d’une mesure d’expertise amiable, il est essentiel de bien comprendre quelle est la force probatoire d’une expertise amiable. Nous allons donc étudier ce point, au travers de décisions récentes de la Cour de Cassation.

III. Distinctions principales entre expertises amiables et judiciaires

Pour bien comprendre pourquoi l’expertise officieuse n’a pas la même force probatoire que l’expertise judiciaire, il est nécessaire de rappeler que leur mise en œuvre est radicalement différente.

La différence la plus évidente est que l’expertise judiciaire est ordonnée judiciairement, par un Tribunal ou un Juge, tandis que l’expertise amiable est diligentée par les parties elles-mêmes, voire par une seule d’entre-elles.

De cette différence originelle découle toutes les autres.

Premièrement, l’Expert judiciaire est missionné par la juridiction elle-même, sur une liste d’Experts inscrits auprès de la Cour d’Appel territorialement compétente, là où les experts amiables sont choisis par les parties elles-mêmes.

Deuxièmement, l’Expert judiciaire doit rendre son rapport et n’a de compte à rendre qu’à la juridiction qui l’a désigné. Il est en outre rémunéré sur la base d’une consignation – c’est-à-dire une avance sur le coût final de l’expertise – à la charge de la partie qui a demandé au Juge que soit ordonnée l’expertise, mais dont le coût final repose sur la partie perdante du procès. A l’inverse, l’expert amiable est choisi et rémunéré par une seule des parties (généralement une assurance), et ne représente que ses intérêts ou ceux de son assuré. L’expert amiable ne communiquera son rapport qu’à la partie qui l’a choisi, et pas aux autres intervenants.

Troisièmement, aucune disposition légale particulière ne fixe de conditions ou de modalités de déroulement de l’expertise amiable (même si les experts amiables sont, dans les faits, généralement tenus de respecter des conventions ou chartes conclues par les compagnies d’assurance qui les désignent). A l’inverse, l’expertise judiciaire est une véritable procédure dans la procédure. Elle est soumise aux articles 264 à 284-1 du Code de procédure civile, qui fixent, notamment, les modalités de désignation et de remplacement de l’expert, la fixation et le règlement de sa rémunération, les délais et modalités de convocation des parties, etc…

Enfin, et c’est là l’une des différences essentielles, l’expert judiciaire est soumis au respect du contradictoire (Article 276 du Code de procédure civile). Il doit ainsi, à toutes les étapes de la procédure, fournir le même degré d’information à toutes les parties, les convoquer ensemble, tenir compte de leurs observations et y répondre. L’expert amiable lui, n’est pas obligé de convoquer la partie adverse, même si c’est généralement le cas, ni de tenir compte de ses observations ou de lui communiquer son rapport.

On voit donc que l’expertise amiable n’a, finalement, pas grand-chose à voir sur le plan procédural avec l’expertise judiciaire, alors que sa mission peut être rigoureusement identique.

C’est la raison pour laquelle, si les conclusions du rapport d’expertise judiciaire orientent directement la décision du Juge, il n’en est pas de même de l’expertise amiable.

IV. Valeur probante de l’expertise amiable

En vertu d’un principe récemment rappelé par la Cour de Cassation (Troisième Chambre civile, 14 mai 2020, Pourvoi n° 19-16.278), le Juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties.

Cela signifie donc qu’un rapport d’expertise amiable réalisé à la demande d’une partie ne peut, à lui seul, prouver le bienfondé d’une action judiciaire.

Au-delà de ce principe, il faut préciser plusieurs points.

1°) On voit là encore la différence entre l’expertise judiciaire, qui se suffit à elle-même par les garanties qu’elle offre, et l’expertise amiable, qui ne fait que rendre vraisemblable la réalité du désordre ou la responsabilité d’une partie.

C’est d’ailleurs là l’une des utilités principales de l’expertise amiable. Cette dernière sert en effet bien souvent à justifier que soit ordonnée une demande d’expertise judiciaire. En cela, elle peut être un préalable à l’expertise judiciaire, une simple étape.

2°) Autre enseignement jurisprudentiel, l’expertise amiable peut être retenue par un Juge comme mode de preuve même si l’une des parties n’a pas pu participer aux opérations d’expertises. Ce mode de preuve est recevable, à la condition toutefois que le rapport d’expertise ait été communiqué aux parties dans le cadre de l’action judiciaire ultérieure et que, dans le respect du contradictoire, les autres parties aient ainsi eu l’occasion de prendre connaissance de ce rapport et d’éventuellement le contester.

On pourra toutefois objecter qu’il est complexe de remettre en cause les conclusions d’une expertise à laquelle on n’a pu participer, de sorte que les parties ne jouent pas réellement à armes égales dans ce cas de figure.

3°) Le principe posé plus haut ne signifie pas pour autant que l’expertise amiable n’a aucune valeur probatoire. Le juge peut en effet parfaitement condamner une partie sur la base d’un rapport d’expertise non judiciaire, si ce dernier est corroboré par d’autres éléments de preuve. La difficulté est cependant alors de définir quel autre élément doit être apporté pour pouvoir prouver le désordre ou la responsabilité de la partie en cause.

Sur ce point, un autre arrêt récent de la Cour de Cassation apporte une précision importante (Troisième Chambre civile, 5 mars 2020, Pourvoi n° 19-13.509).

En l’espèce, le demandeur, acquéreur d’un immeuble, sollicitait la condamnation de la venderesse au motif que la surface réelle de l’immeuble était inférieure à celle visée dans l’acte de vente. Il se fondait, pour justifier son action, sur deux expertises privées, qui avaient toutes deux été réalisées sans la présence de la venderesse. Les juridictions du fonds ont finalement condamné la venderesse comme le demandait l’acquéreur, en se fondant sur ces expertises.

La venderesse a alors déposé un pourvoi en cassation, en arguant que les Juges ne pouvaient légalement la condamner sur la seule base de rapports d’expertises amiables. La Cour de Cassation a cependant rejeté ce pourvoi et confirmé la décision des premiers juges. En effet, la Cour a considéré que chacun des rapports d’expertise était insuffisant, seul, pour prouver les faits allégués par l’acquéreur de l’immeuble, mais qu’en l’espèce les rapports d’expertise se corroboraient l’un l’autre. La conclusion de cet arrêt est donc qu’un seul rapport est insuffisant, mais que deux rapports, même non contradictoires peuvent être suffisants (à condition évidemment qu’ils soient concordants).

4°) En outre, et c’est le sens de l’arrêt du 14 mai 2020 déjà cité, la Cour de Cassation estime que l’expertise privée est un mode de preuve insuffisant, à défaut d’autre élément de preuve complémentaire, « peu important que la partie adverse y ait était régulièrement appelée ». Ainsi, même si l’expert a pris la précaution de respecter le principe du contradictoire en convoquant toutes les parties concernées, son rapport n’aura pas la même valeur qu’un rapport d’expertise judiciaire.

Cette différence tient probablement à ce que, comme on l’a vu précédemment, le contradictoire n’est pas la seule différence entre les deux modes d’expertise. En effet, l’expert amiable reste choisi et rémunéré par l’une des parties, et sa mission et définie par son client ; ce qui fait que le rapport d’expertise peut ne pas être totalement objectif, ou tout du moins qu’il ne présente pas toutes les garanties pour éviter qu’il puisse être subjectif.

Reste toutefois l’hypothèse, semble-t-il jamais jugée à ce jour, de l’expert privé choisit et rémunéré conjointement par l’ensemble des parties, avec une mission convenue entre elles. En pareil cas, et si toutes les parties ont bien été convoquées, ont participé aux opérations et ont pu faire valoir leurs observations, le rapport d’expertise rendu dans ses conditions se suffirait-il à lui-même en tant que mode de preuve ? Dans ces conditions, la seule distinction avec l’expertise judiciaire serait qu’elle n’aurait pas été ordonnée judiciairement, mais elle présenterait à priori toutes les garanties d’impartialité requises. On pourrait donc penser que les juridictions n’auraient pas à rechercher d’éléments complémentaires de preuve pour statuer. La question reste cependant en suspens.

V. Conclusion

En conclusion, on pourra dire que l’expertise privée, officieuse, ou amiable, selon comme on la nomme, n’est clairement qu’un mode de preuve imparfait. En effet, elle ne peut se suffire à elle-même et nécessitera, dans le cadre d’un procès, d’apporter d’autres preuves pour la corroborer (qui peuvent être d’autres rapports d’expertise amiable).

Réciproquement, elle pourra, bien plus aisément que l’expertise judiciaire, être contestée et remise en cause par d’autres preuves (le rapport d’un autre expert amiable en sens opposé par exemple).

Surtout, dans les faits, l’expertise amiable ne sert – dans un cadre judiciaire – bien souvent qu’à demander une expertise judiciaire…

Elle reste cependant utile en matière amiable, pour tenter d’aboutir à un accord entre les parties. Si tant est qu’aucune d’entre elles ne conteste son principe ou ses conclusions…

Arnaud TOULOUSE, Avocat

23 Juil 2020

Le jeu dangereux de la sous-location non autorisée

La sous-location non autorisée peut coûter cher au locataire… et rapporter gros au propriétaire.

 

Tel est l’enseignement que l’on peut retenir de l’arrêt très remarqué rendu le 12 septembre 2019 par la Troisième Chambre Civile de la Cour de Cassation (Civ. 3, 12 septembre 2019, n°18-20.727).

 

 

L’affaire qui était présentée à la Cour de Cassation était très banale dans le monde d’aujourd’hui : dans le cadre d’un bail à usage d’habitation, le locataire principal décide de sous-louer le logement, via la plateforme en ligne AirBnb.

 

 

Cependant, le bailleur n’avait pas autorisé son locataire à sous-louer le logement. Lorsqu’il l’a découvert, le bailleur a intenté une action judiciaire contre son locataire.

 

 

La réponse de la Cour de Cassation est cinglante : « sauf lorsque la sous-location a été autorisée par le bailleur, les sous-loyers perçus par le preneur constituent des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire ».

 

La conséquence juridique d’un tel raisonnement est simple : l’infortuné locataire doit reverser l’intégralité des sous-loyers qu’il a perçu à son bailleur.

 

 

Cette sanction est très forte et de nature à dissuader de telles pratiques. Rappelons que, dans le même temps, le locataire reste redevable du loyer normal. Le bailleur perçoit donc simultanément le loyer et le sous loyer.

 

La solution, prononcée pour la première fois par la Cour de Cassation, paraît totalement justifiée en droit.

 

En effet, l’article 546 du Code civil dispose que la propriété d’une chose donne droit sur tout ce qu’elle produit, et sur ce qu’il s’y unit accessoirement. Ce mécanisme s’appelle le droit d’accession.

 

Or, le loyer et le sous loyer sont les revenus produits par le bien immobilier dont le bailleur est propriétaire. Ces revenus reviennent donc naturellement au propriétaire bailleur, par accession.

 

 

Il est à noter que le locataire, lors de l’affaire, a tenté d’échapper à cette sanction, sans succès.

 

Tout d’abord, devant les premiers juges, il a invoqué l’enrichissement sans cause, en expliquant que le versement des sous loyers au bailleur provoquerait pour ce dernier un enrichissement dépourvu de tout fondement légal ou contractuel. L’argument a cependant été rapidement rejeté, puisque l’enrichissement du bailleur reposait, comme on vient de le voir, sur son droit d’accession, et reposait en conséquence sur un fondement légal.

 

Ensuite, le locataire, devant la Cour de Cassation, a en vain contesté le fait que les sous loyers constituent des fruits civils.

 

 

La Cour de Cassation ne peut que confirmer l’arrêt condamnant le locataire. L’article 549 du Code civil est clair à ce sujet : « Le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne foi. Dans le cas contraire, il est tenu de restituer les produits avec la chose au propriétaire qui la revendique ».

 

Il ne semble exister aucune échappatoire pour le locataire. En effet, pour pouvoir prétendre au droit de conserver les sous loyers, il faudrait, pour le locataire principal, conformément à l’article précité, prouver qu’il se comportait de bonne foi comme le légitime propriétaire. Ce qui, en présence d’un contrat de bail, est manifestement impossible, puisque le locataire ne peut ignorer qu’il n’est pas le véritable propriétaire…

 

Tout locataire désirant sous-louer son logement, notamment via les plateformes en ligne, devra donc au préalable recueillir l’accord écrit de son bailleur, afin de se prémunir contre le risque de voir ce dernier se retourner contre lui.

 

 

Pour finir, il faut noter que cette décision, rendue à propos d’un bail d’habitation, à vocation à s’appliquer de manière bien plus large. En effet, la prohibition de la sous-location, sauf accord écrit du bailleur, établie en matière de bail d’habitation (Article 8 de la Loi du 6 juillet 1989), est également consacrée en matière de bail commercial (article L. 145-31 du Code de commerce), et en matière de bail rural (article L. 411-35 du Code rural et de la pêche maritime). Le principe résultant de cet arrêt devrait donc s’étendre aux baux ruraux et commerciaux.

 

Arnaud TOULOUSE

Avocat

10 Mai 2020

COVID-19 – Mesures de lutte du Cabinet contre la propagation du virus

Le Cabinet Avoc’Arènes s’engage et met tout en œuvre pour lutter contre la propagation du COVID-19.

 

A cet effet, à compter du 11 mai 2020, date de la réouverture au public du Cabinet, et jusqu’à ce que les conditions sanitaires permettent d’y mettre un terme, sont instaurées au sein du Cabinet les mesures sanitaires suivantes :

 

  • Le Cabinet ne reçoit plus que sur rendez-vous. Merci donc de contacter le Cabinet aux coordonnées ci-dessus si vous souhaitez que nous puissions vous recevoir.

 

  • Nous ne fixons de rendez-vous en présentiel que lorsque cela est absolument nécessaire. Les rendez-vous par téléphone ou visioconférence sont privilégiés.

 

  • Si vous souhaitez nous remettre des documents, merci de privilégier l’envoi par email (1 pdf par document), ou l’envoi postal. En cas d’urgence ou de nécessité, vous pouvez également déposer vos documents dans la boîte aux lettres du Cabinet.

 

  • Lors des rendez-vous en présentiel, il est demandé au Client de n’arriver ni en retard, ni en avance, et de respecter la durée du rendez-vous imposée par le Cabinet. Il n’est fixé aucun rendez-vous simultanément, et un temps minimal de 30 minutes est respecté entre chaque rendez-vous.

 

  • La signature électronique des documents est systématiquement privilégiée.

 

 

 

Lorsque vous avez rendez-vous au Cabinet :

 

  • Vous devez venir avec un masque ainsi qu’un stylo personnels. A défaut, nous ne pourrons pas vous recevoir.

 

  • Lors de votre arrivée, sonnez au Cabinet en bas de l’immeuble, la porte d’accès aux communs se déverrouillera automatiquement. Entrez et montez à au 1er étage. Ne touchez pas la porte du Cabinet, nous viendrons vous ouvrir.

 

  • A votre entrée, lavez vous les mains avec le gel hydroalcoolique mis à votre disposition. Votre Avocat en fera de même. Pas de bises ni de poignées de mains.

 

  • Si vous devez interagir avec la Secrétaire, merci de vous adresser à elle à travers la paroi vitrée située entre le Secrétariat et l’espace d’accueil. Les documents à lui remettre doivent être posés sur la banque d’accueil où ils resteront en déconfinement avant de pouvoir être manipulés.

 

  • Lors du rendez-vous, n’enlevez pas votre masque, ne touchez pas votre visage et évitez de toucher le mobilier du Cabinet.

 

  • A la fin de votre rendez-vous, votre Avocat vous raccompagnera et vous ouvrira la porte, après que vous vous soyez lavé les mains avec le gel hydroalcoolique mis à votre disposition.

 

  • Après votre départ, votre Avocat se lavera les mains et le cabinet sera désinfecté.

 

  • Pour raisons sanitaires, les toilettes du Cabinet ne sont temporairement plus accessibles au public. Merci d’en tenir compte.
30 Juil 2019

YouTube, Facebook, Twitch, Instagram : Article 13 / Article 17, la fin de la liberté sur Internet ?

Le 17 avril 2019 est entré dans l’histoire d’Internet.

C’est en effet à cette date qu’a été définitivement adoptée et publiée la Directive européenne n°2019/790 « Sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique » et, avec elle, le fameux article 13 – devenu article 17 au fil des différents examens du texte – qui a tant fait parler de lui, pour avoir suscité l’une des plus importantes campagnes de contestation de l’histoire du web.

Vidéos explicatives par centaines, pétitions en ligne, articles annonçant la fin de la liberté et de la spécificité d’Internet, ou la fin de YouTube et des YouTubeurs, prises de position publique de plateformes comme YouTube (pourtant habituellement extrêmement réservée sur la scène publique) etc…

Tout ceci n’a cependant été que la partie immergée d’un colossal iceberg. Loin des regards du public, le lobbying qui a été mené, principalement par les plateformes de partage de contenu en ligne comme YouTube, Facebook ou Google News, auprès des représentants de l’Union Européenne, a dépassé tout ce qui avait pu exister auparavant, mettant ainsi la pression aux décideurs et cherchant à infléchir la direction qui semblait prise.

Quelques semaines après l’adoption de l’article 13 (devenu article 17), faisons le point sur ce qu’est vraiment ce texte et ce qu’il prévoit.

 

I)                   Qu’est-ce qu’une directive européenne ?

 

Pour bien comprendre l’article 17, il faut comprendre la nature de ce texte.

Il s’agit d’un article d’une directive européenne. Ce texte est une norme européenne, votée par le Parlement européen et le Conseil de l’Union Européenne.

Il existe deux types de normes principales en droit de l’Union Européenne : le Règlement européen et la Directive européenne.

Le Règlement européen est le texte qui se rapproche le plus de la Loi. Il contient des règles précises et identiques pour l’ensemble des Etats concernés. Il s’applique à compter de son entrée en vigueur, dans l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne, sans qu’il soit nécessaire de voter une Loi dans chaque pays.

Le fonctionnement de la Directive est différent. Il ne s’agit pas là d’adopter des règles uniformes et identiques dans tous les Etats de l’Union Européenne, mais plutôt de tenter d’harmoniser les pratiques et règles de ces Etats sans leur imposer une méthode ou une marche à suivre prédéfinie.

Le règlement unifie, la directive harmonise.

La Directive ne crée donc, par principe, aucun droit directement invocable par les citoyens de tel ou tel Etat. Elle prévoit seulement que, avant telle date, chaque Etat devra adopter une loi dite « de transposition » pour reprendre, interpréter et adapter ce texte dans son ordre interne. Tous les Etats de l’Union Européenne n’auront donc pas exactement les mêmes règles, mais ces différentes règles auront cependant un objectif et un cadre communs.

En l’occurrence, la Directive sur le droit d’auteur adoptée le 17 avril 2019 prévoit que la France, comme tous les autres Etats de l’Union Européenne, devront transposer cette directive avant le 7 juin 2021. Elle dispose donc d’un délai de deux ans pour mettre en application ces règles, et notamment l’article 17.

Il sera important de voir comment la France va interpréter et adapter ce texte.

Il sera également extrêmement important – plus que dans tout autre secteur – d’étudier à l’avenir comment chaque Etat interprète ce texte.

En effet, l’article 17 s’applique quasi exclusivement à des plateformes d’envergure mondiale, dont le contenu est accessible partout dans le monde. Il serait extraordinairement coûteux et complexe pour YouTube ou toute autre plateforme similaire d’adapter ses règles de fonctionnement à chaque pays d’Europe (en plus des adaptations imposées par les autres nations mondiales), en tenant compte des spécificités de la législation de chaque Etat.

Il est donc fort probable que l’on assiste à un phénomène d’auto-restriction maximale : concrètement, de telles plateformes de contenu auront naturellement tendance à adapter leurs règles de fonctionnement uniformément sur l’ensemble de l’Union Européenne de manière à respecter la plus contraignante des législations européennes, quitte à être plus restrictifs que nécessaire dans les autres Etats plus tolérants, de façon à se prémunir de tout risque de responsabilité.

On voit bien cette tendance notamment dans le développement croissant par ces plateformes (comme Twitch, YouTube, etc…) de système de blocage ou de démonétisation automatique de vidéos et contenus par l’intermédiaire d’intelligence artificielle détectant des risques de violations du droit d’auteur. Le développement de ses procédés illustre la volonté claire des plateformes de contenus de se prémunir contre tout risque de responsabilité, par anticipation des normes comme l’article 17, tout autant que celle de rassurer les annonceurs et partenaires commerciaux sur sérieux de ces acteurs, et la confiance qu’ils peuvent et doivent dégager pour assurer leurs revenus commerciaux.

La directive votée n’est donc pas une fin en soi, et il sera nécessaire de voir comment elle sera appliquée en France et dans les autres pays d’Europe.

L’article 17 ne peut donc constituer la fin de YouTube. Ce pourrait être alors le début de la fin ?

 

II)                 A qui s’adresse l’article 17 ?

 

Le célèbre article 17 (ancien article 13) régit la publication et la mise en ligne de contenu soumis à droit d’auteur par « les fournisseurs de service de partage de contenus en ligne ».

Cette notion longue et peu intelligible n’existait pas auparavant, elle est cependant définie à l’article 2 de la directive.

Ainsi, constitue un fournisseur de service de partage de contenus en ligne « le fournisseur d’un service de la société de l’information dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public l’accès à une quantité importante d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs, qu’il organise et promeut à des fins lucratives ».

On comprend bien que cette définition inclut naturellement les plateformes de partage de contenu telles que YouTube, Facebook, Twitter, Instagram, Twitch, etc…

L’un des précisions les plus importantes de cette définition tient à l’exclusion expresse de tout fournisseur à but non lucratif. Les encyclopédies en ligne sans but lucratif (Wikipédia en tête) ne sont donc clairement pas soumises aux règles de l’article 17 ; de même que des répertoires et plateformes de partage en ligne de bases de données scientifiques, éducatives, culturelles etc, … tant qu’elles n’ont pas de dimension lucrative.

Sont également exclus de l’application de cet article les services de cloud pour entreprises ou particuliers, dès lors que le contenu stocké en ligne par l’utilisateur n’est accessible qu’à lui-même et non à l’ensemble des utilisateurs du service de cloud. La solution est d’une pure logique et on ne voit d’ailleurs pas comment les règles du droit d’auteur auraient pu trouver à s’appliquer en pareil cas. Sous l’effet probable d’un intense lobbying, la directive prend tout de même le soin de le préciser.

On peut tout de même avoir quelques interrogations, qui ne manqueront pas de se poser en pratique et en jurisprudence.

Se pose par exemple la question de la condition de « l’accès à une quantité importante d’œuvres protégées ». A défaut de toute définition ou seuil, cette notion de quantité importante pourra être sujette à discussion.

Peut également se poser la question de certains services qui pourraient correspondre à cette définition et ainsi se voir appliquer l’article 17.

On peut penser, par exemple, à la série de jeux vidéo Super Mario Maker, éditée par Nintendo, dont le concept principal repose sur la possibilité pour tout possesseur du logiciel muni d’une connexion Internet de jouer à des millions de niveaux créés et mis en ligne par les autres utilisateurs dudit logiciel. Il s’agit d’un logiciel payant et ayant un caractère évidemment lucratif pour l’éditeur. Il faudrait alors considérer que Nintendo devrait légalement conclure des accords de licence avec Coca Cola pour le cas où des joueurs utiliseraient la marque dans leurs niveaux, ou avec les ayants-droits de Beyoncé si l’un des créateurs de niveau met en ligne un niveau reprenant une mélodie identifiable de l’artiste (Super Mario Maker permettant la création de niveaux musicaux) ?

L’idée parait folle, mais pourrait pourtant totalement correspondre à la définition légale de la directive, et pourrait donc trouver à s’appliquer. D’autant plus que l’argument serait transposable à tout autre jeu vidéo comportant, à titre principal ou accessoire une dimension importante de création et de partage de contenu par les joueurs eux-mêmes.

La directive nous livre donc en la matière des certitudes et des interrogations, sans pouvoir répondre à toutes les questions.

 

 

III)               Quels sont les principes essentiels de l’article 17 et les obligations des plateformes de partage de contenu ?

 

1°) Premièrement, les plateformes sont désormais considérées comme responsables lorsqu’un contenu est mis en ligne par un utilisateur par le biais de leur service.

Une forme de flou juridique existait jusqu’à présent, à laquelle la directive a légitimement tranché que la plateforme, dont l’activité lucrative repose sur le fait de permettre la publication et la mise en avant de contenus mis en ligne par ses utilisateurs, est responsable du contenu qu’elle diffuse.

La conclusion en est que lesdites plateformes doivent systématiquement conclure des accords avec les propriétaires de droits d’auteurs ou d’œuvres protégées, lorsque les œuvres mises en ligne portent atteinte au droit d’auteur.

L’article 17 précise ici de façon extrêmement importante que les accords de licence conclus par les plateformes avec les ayants-droits de marques ou œuvres couvrent également les actes accomplis par les utilisateurs de la plateforme « lorsqu’ils n’agissent pas à titre commercial ou lorsque leur activité ne génère pas de revenus significatifs ».

Cette disposition, appelées sans doute à de larges débats à l’avenir, entraîne un double niveau de responsabilité : ainsi, la plateforme est responsable vis-à-vis des auteurs et marques pour le contenu publié sur leur infrastructure en ligne, mais le créateur de contenu l’est tout autant.

S’ensuit deux situations :

  • Lorsque le contenu susceptible de porter atteinte au droit d’auteur est uploadé (mis en ligne) par un simple particulier sans dimension commerciale ou lucrative particulière, l’accord conclu par YouTube ou une autre plateforme couvre également la personne ayant créé le contenu, le protégeant ainsi de toute mise en cause de son éventuelle responsabilité ;
  • En revanche, lorsque le contenu en cause aura été mis en ligne par une personne agissant à titre commercial ou dont l’activité génère des revenus significatifs, l’accord conclu par la plateforme de contenu avec les ayants-droits ne vaudra que pour elle-même et non pour le créateur de contenu, qui serait donc supposé conclure lui-même un accord avec les ayants-droits, avant la diffusion de son contenu.

Il faut ici s’arrêter un instant pour approfondir le sujet.

Se pose ici d’une part la question de la définition – très floue hélas – de la notion d’utilisateur couvert ou non par les accords des plateformes, selon qu’il agit à titre commercial ou que son activité génère des revenus significatifs ; et ce d’autant plus que la définition pourra être interprétée différemment par les différents pays européens…

On peut penser que, à priori, la majorité des YouTubeurs entreront, hélas pour eux, dans la catégorie des créateurs de contenus qui ne seront pas couverts par les accords de YouTube et Twitch, puisque ces créateurs de contenus se définissent par nature comme des personnes cherchant à vivre de leur activité de publication de contenu. On notera d’ailleurs qu’un nombre croissant de YouTubeurs exercent désormais leur activité sous forme de société (SARL, EURL, SAS, …), et ont donc par nature une activité commerciale excluant la couverture par les accords des plateformes. D’autre part, on remarque qu’un nombre croissant de YouTubeurs recoure à des vidéos incluant une communication commerciale au profit d’une marque ou d’un produit donné (« vidéos sponsorisées » ou « opé spé »), afin de rentabiliser économiquement leur activité.

En outre, le critère de « l’activité générant des revenus significatifs » est non seulement plus clair (qu’est qu’un revenu « significatif » ?!), mais également difficilement à identifier en amont en la matière.

Prenons une nouvelle fois l’exemple de YouTube. Le système de monétisation mis en place par cette plateforme a pour particularité d’être directement corrélé avec le volume des « vues » du contenu publié. En clair, plus une vidéo YouTube est vue, plus elle génère d’argent (sous réserve des différents formats de publication, monétisés ou non, et des démonétisations pour atteinte au droit d’auteur justement).

Ce système fait qu’il est impossible, dans bon nombre de cas, de savoir à l’avance, même sommairement, combien de vues une vidéo va avoir et donc combien elle va rapporter à son auteur ; et tout particulièrement s’agissant des créateurs de contenu occasionnels, à la différence des créateurs de contenus professionnels dont le rythme de publication et le nombre d’abonnés permet d’avoir une idée (sommaire) de ce que pourrait générer une nouvelle vidéo sur un sujet donné.

Il faudrait donc considérer que le particulier ayant eu l’idée d’adapter de façon originale une œuvre musicale et qui l’aurait uploadé sur YouTube pour le diffuser à sa famille, ses proches et se faire plaisir, serait fautif de ne pas avoir conclu un accord de licence au préalable avec les propriétaires de l’œuvre originale, au seul motif que, contrairement à des centaines de personnes dans son cas, il aurait eu la chance que sa vidéo soit visionnée par des millions de personnes ? Cela répondrait effectivement à un objectif de protection efficace du droit d’auteur, mais la réponse ne donne pour autant pas véritablement satisfaction et nécessiterait des aménagements et des contours mieux maîtrisés.

 

2°) Si un contenu publié porte atteinte au droit d’auteur et n’a pas fait l’objet d’accords avec les ayants droits comme vu plus haut, la responsabilité des plateformes sera engagée.

Elles ne pourront échapper à cette responsabilité qu’en démontrant, de façon cumulative, les conditions suivantes :

  • Elles ont fourni tous les efforts possibles pour obtenir un accord des ayants-droits ;
  • Elles ont mis en œuvre tous les moyens pour rendre indisponibles les œuvres dont elles ont reçu les éléments et informations nécessaires par les titulaires des droits d’auteur ou de marque ;
  • Elles ont agi promptement, dès réception d’une réclamation suffisamment précise d’un titulaire de droit d’auteur, pour bloquer l’accès aux contenus y portant atteinte ou les retirer de leurs sites internet, et ont tout fait pour empêcher que ces contenus soient ré uploadés à l’avenir.

Il est précisé en outre que – dans l’objectif affiché de ne pas empêcher le développement de start-ups dans le domaine, ou de nouveaux acteurs – les plateformes de moins de 3 ans et ayant un chiffre d’affaire inférieur à 10 millions d’euros pourront échapper à toute responsabilité en démontrant avoir tout mis en œuvre pour essayer d’obtenir un accord des ayants-droits, à l’exclusion des deux autres critères posés. Si ces structures ont en moyenne plus de 5 millions de visiteurs uniques par mois, calculés sur la base de l’année civile précédente, elles devront également démontrer avoir tout fait pour éviter que les contenus en cause soient ré uploadés.

On notera par ailleurs que le texte impose donc aux plateformes de bloquer et supprimer tout contenu portant atteinte au droit d’auteur, à défaut d’accord avec les ayants-droits.

Le texte ne permet donc a priori pas l’application du système mis en place par YouTube, à savoir celui de la démonétisation. Ce système consiste non dans le blocage pur et simple du contenu en cause, qui reste disponible au public, mais dans le retrait du droit pour la personne l’ayant mise en ligne d’en percevoir les profits, ces derniers étant reversés à l’ayant droit, propriétaire de l’œuvre utilisée indument.

Ce système semblait pourtant intéressant à plusieurs points.

Il faut ici aborder une notion qui n’a pas été vue jusqu’à présent : la multi dimensionnalité des atteintes au droit d’auteur. Car entre l’utilisateur qui va publier sur une copie intégrale du Roi Lion en cherchant à générer des revenus en exploitant exclusivement la création d’autrui, et celui qui va créer sur son propre budget un moyen métrage entièrement original sur lequel apparaîtrait à la dix-huitième minute une canette de soda connue, chacun s’accordera sur le fait que l’atteinte portée au droit d’auteur n’a pas la même dimension.

Or, s’il peut paraître légitime de bloquer et supprimer purement et simplement le premier contenu en exemple, une telle sanction dans le second cas paraît contraire… au droit d’auteur lui-même, et en l’occurrence celui du créateur de contenu. Car il ne faut pas oublier – ce que la directive n’envisage portant pas – que les « créateurs de contenus » utilisant ces plateformes, et comme leur nom l’indique, peuvent également être protégés par le droit d’auteur.

En cela, le très faible éventail des mesures exonératoires de responsabilité pour les plateformes tranche radicalement avec le principe posé à l’article 18 (l’article suivant) de la directive, à savoir celui d’une rémunération « juste et proportionnée » des auteurs. Dans l’exemple en cause, il eut sans doute été plus juste et proportionné de calculer, le cas échéant, si l’atteinte au droit d’auteur ou de marque dans la vidéo originale a eu une incidence sur l’intérêt de la vidéo et a pu générer un préjudice pour le titulaire du droit, de façon à calculer un pourcentage des revenus tirés de cette vidéos devant être reversés à l’auteur ou la marque.

On pourra noter, pour conclure, que le système de la démonétisation (sans doute actuellement trop manichéen, tel qu’appliqué par YouTube) est pourtant plus intéressant, financièrement et en termes de publicité, pour les auteurs, que la suppression pure et simple de tout contenu quel qu’il soit.

On peut donc dresser le constat d’une faiblesse du champ de décision laissé à la plateforme sur la mesure la plus adaptée en cas d’atteinte au droit d’auteur. C’est peut-être là la plus grande limite de ce texte.

 

3°) Troisièmement, le texte précise, assez peu utilement, que l’article 17 n’empêche pas la publication de contenu ne portant pas atteinte au droit d’auteur. L’évidence est de mise.

En revanche, le texte ajoute plus utilement que, en particulier, les utilisateurs publiant du contenu pourront échapper à toute atteinte au droit d’auteur lorsque le contenu utilisé relèvera du droit de critique, de revue ou de citation, ou encore de la caricature, de la parodie ou du pastiche.

La précision est essentielle car elle permet d’écarter de la « censure artistique » tous les contenus de critique au sens large, et de détournement parodique.

« C’est en copiant qu’on invente » professait Paul VALERY.

Et effectivement, si l’article 13 (désormais article 17) a tant soulevé la colère d’Internet, c’est en raison de la conviction profonde que la liberté revendiquée d’Internet constitue pour une large part une liberté créative. Memes, let’s play, vlog, etc… force est de constater que nombre de formats de contenus spécifiques au numérique et aux plateformes de partage, qu’on les aime ou les rejette, ont une dimension très créative, tout en étant souvent directement tirés de l’inspiration ou de la volonté de tourner en dérision notre socle culturel commun.

Les dispositions de l’article 17 sur ce « droit à la parodie » sont cependant très peu détaillés, et les différentes transpositions par les Etats membres nous indiqueront comment ce droit s’articule en pratique.

Il est notamment à craindre un droit invocable uniquement à posteriori, c’est-à-dire que l’utilisateur pourra clamer seulement une fois son contenu supprimé, pour contester cette suppression. Or, compte tenu de la nature de ces dispositions, il serait plus logique et protecteur que des mécanismes soient mis en place pour au contraire éviter que les contenus relevant du droit de critique ou de parodie ne puissent être supprimés ou bloqués indument.

 

4°) Les plateformes devront en outre tenir à disposition des ayants-droits des informations sur leurs pratiques en matière de respect du droit d’auteur. Ce point n’appelle pas d’observations particulières. On peut seulement regretter que ne soit pas symétriquement prévue une obligation d’information des créateurs des contenus sur les pratiques de la plate-forme en matière de respect du droit d’auteur.

 

5°) Les plateformes ont toutefois l’obligation de mettre en place des dispositifs de plaintes et de recours rapides et efficaces à la disposition des utilisateurs en cas de blocage de leur contenu qu’ils contesteraient.

Le texte précise que les décisions de blocage ou de retrait des contenus doivent faire l’objet par la plateforme concernée « d’un contrôle par une personne physique » (sous-entendu : pas une intelligence artificielle). Cette expression implique donc que les décisions de blocage et retrait peuvent être prises par un algorithme ou une intelligence artificielle, tant qu’une personne physique assure le contrôle de ces décisions. Il s’agit donc d’une exigence intermédiaire entre le tout numérique illégal, et le tout humain ; même si rien n’interdit à une plateforme d’assurer la prise de ces décisions exclusivement par des êtres humains – mêmes si l’algorithme a pour réputation d’être infiniment plus rapide et « efficace » qu’un humain…

Des structures de recours amiables doivent coexister avec la possibilité de recours en justice.

 

6°) Enfin, le dernier paragraphe de l’article 17 indique que, à compter du 6 juin 2019, la Commission de l’Union Européenne organise, avec les Etats membres de l’Union, des dialogues entre les parties intéressées (plateformes, utilisateurs et titulaires de droits d’auteurs) « afin d’examiner les meilleurs pratiques pour la coopération entre les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne et les titulaires de droits. » Après consultation de ces acteurs, la Commission devra émettre des orientations sur l’application de l’article 17. Il est précisé qu’il devra alors être tenu compte de la nécessité de maintenir un équilibre entre la protection du droit d’auteur et les exceptions rappelées ci-avant (droit de critique, droit de parodie).

Cette disposition laisse dubitatif, à plusieurs points. Il est tout d’abord assez déconcertant de constater qu’une directive a été adoptant, posant des règles, et imposant aux Etats de les appliquer dans les 2 ans à venir, tout en indiquant, sans délai précis mais selon un planning nécessairement long, qu’une concertation va devoir avoir lieu pour déterminer comment concrètement adopter cette directive.

De l’art de voter des normes sans avoir idée de comment les appliquer…

On peut s’interroger pareillement sur la raison pour laquelle cette fameuse concertation entre les créateurs de contenus, les plateformes et les représentants d’auteurs n’a pas été menée avant d’adopter ce texte, pour définir ensemble les règles à appliquer.

Enfin, on peut noter le déséquilibre aujourd’hui évident entre les forces en présence. On sait le poids que possèdent les structures de défense des auteurs à l’heure actuelle. On connait aussi la puissance financière et médiatique colossale des plateformes telles Facebook, Twitter, YouTube… En revanche, qui peut aujourd’hui représenter sur la scène européenne la communauté des utilisateurs de ces plateformes (à titre individuel ou professionnel) ?

Il est donc à craindre un déséquilibre abyssal des forces en présence. Or, il est illusoire de qualifier de concertation le fait de placer dans un même enclos un tigre, un lion, et une antilope…

Enfin, on notera que cette concertation ne doive servir qu’à élaborer des orientations, sans valeur contraignantes, et qui donc n’auront pas valeur d’obligations fermes.

 

Ainsi, et en résumé, l’article 17 n’apporte pas le raz-de-marée de censure tant craint et professé. Il est cependant à craindre que, au fil du temps, il n’aboutisse à une binarité manichéenne qui se dessine déjà (contenu accessible / contenu supprimé), dans laquelle, de façon globale, toute forme d’appréciation humaine et concrète finisse par disparaître, aux termes de procédures rapides mais pauvres en appréciation et marge de manœuvre. Or, Internet s’est construit sur sa richesse de contenus, d’interactions et de possibilités.

Enfin, il est à craindre une précarisation de la situation des créateurs de contenus professionnels (YouTubeurs), dont les obligations sont croissantes, alors qu’il s’agit bien souvent de petites ou très petites structures.

La solution, qui commence déjà à poindre, sera peut-être pour eux le regroupement et la mise en commun de moyens techniques, organisationnels, juridiques, et en termes de gestion des questions de propriété intellectuelle.

Arnaud TOULOUSE

Avocat

01 Avr 2019

Séparation, garde des enfants : mode d’emploi

« Les histoires d’amour finissent mal en général ».

Si toute séparation implique nécessairement de vivre un moment douloureux, le fait pour le couple d’avoir un ou plusieurs enfants complique toujours cette situation déjà difficile à gérer.

Ainsi, lorsque les parents séparés s’enlisent dans le conflit, sans parvenir à un accord sur la garde des enfants, il sera nécessaire de faire trancher ce litige par le Juge aux Affaires Familiales.

En effet, ce dernier n’a pas uniquement pour vocation de prononcer des divorces.

Il est également compétent pour trancher les litiges impliquant des parents qui ne sont pas (ou plus) mariés.

Alors, en cas de conflit avec le père ou la mère de vos enfants, que faire ?

I) La saisine du Juge

 

Afin que le Juge puisse statuer sur votre affaire, encore faut-il que celui-ci soit saisi, c’est-à-dire que vous lui demandiez de juger.

Pour ce faire, plusieurs solutions existent :

  • La requête : il s’agit d’une sorte de courrier adressé au Juge, dans lequel vous lui indiquez les raisons pour lesquelles vous souhaitez le saisir, et lui demandez de prendre une décision. Concrètement, vous lui exposez vos arguments.

Une fois cette requête reçue, le Juge vous convoquera, ainsi que l’autre parent, par lettre recommandée avec accusé de réception, à une audience.

  • L’assignation : c’est un document que vous faites délivrer par un huissier de Justice, par lequel vous indiquez à l’autre parent que vous lui intentez un procès devant le Juge aux Affaires Familiales, à telle date et telle heure.

Il contient, tout comme la requête, les arguments que vous souhaitez faire valoir devant le Juge.

 

Bien entendu, il est important que vous contactiez un avocat afin qu’il vous oriente vers le mode de saisine le plus adapté à votre situation.

De plus, tant la requête que l’assignation sont soumises à un certain nombre de règles de forme que votre avocat maîtrise, et qui, si vous ne les respectez pas, pourraient vous faire perdre le procès.

II) Les demandes

 

Le Juge aux Affaires Familiales statue sur plusieurs points, que nous allons détailler.

 

  • L’autorité parentale

 

L’autorité parentale peut se définir comme l’ensemble des droits et des devoirs des parents vis-à-vis de leur enfant mineur.

Concrètement, le Juge va statuer sur le fait de savoir quel parent va pouvoir exercer cette autorité parentale.

Cette autorité parentale est importante en pratique, puisqu’elle confère la possibilité pour le parent de prendre des décisions importantes pour la vie de l’enfant : inscription à l’école, demandes de papiers d’identité, autorisations pour des sorties scolaires, autorisations d’hospitalisation, etc.

Ainsi, en fonction de la situation des parents, le Juge pourra prononcer un exercice de l’autorité parentale exclusif (c’est-à-dire qu’un seul des parents pourra prendre les décisions mentionnées), soit conjoint (les deux parents devront prendre ensemble les décisions).

La question de l’autorité parentale est une question particulièrement sensible, qu’il est indispensable d’évoquer avec votre avocat.

 

  • La résidence principale de l’enfant

Il s’agit du lieu où l’enfant va résider le plus souvent.

En effet, lorsque les parents sont en conflits sur la question de la garde des enfants, le Juge va confier la résidence principale de l’enfant à l’un des parents, afin de lui garantir une plus grande stabilité.

Là encore, la question de savoir chez lequel des deux parents l’enfant aura sa résidence principale est tout à fait sensible.

Si les parents arrivent à trouver un accord, le Juge l’homologuera sans difficulté.

En cas de conflit, le Juge devra trancher au cas par cas.

Il est très important de comprendre que le Juge aux Affaires Familiales ne prend sa décision que sur un seul critère : l’intérêt de l’enfant.

Ainsi, votre avocat vous aidera à démontrer, en cas de conflit avec l’autre parent, qu’il est dans son intérêt, et son intérêt seul, de vivre habituellement chez vous.

Bien entendu, si les parents arrivent à trouver un accord, le Juge peut également envisager une garde alternée, c’est-à-dire une semaine sur deux.

Attention, la garde alternée n’est envisageable qu’à certaines conditions (âge de l’enfant, parents résidant proche l’un de l’autre, etc.). Il conviendra de vérifier avec votre avocat si celles-ci sont réunies.

 

  • Les droits de visite et d’hébergement

Lorsque le Juge fixe la résidence principale de l’enfant au domicile de l’un des parents, l’autre parent bénéficie de droits de visite et d’hébergement.

Sur ce point, il est très important de noter que le Juge statue toujours « à défaut de meilleur accord entre les parents ».

Concrètement, cela signifie que le Juge va fixer un cadre minimal, que devrons respecter les parents, mais ceux-ci peuvent toujours, au fil du temps, trouver un arrangement qui leur conviendra, et surtout qui conviendra à l’enfant.

Ainsi, les droits de visites et d’hébergement dits « classiques » (le fameux « un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires ») ne sont bien évidemment pas une règle d’or.

Le Juge peut tout à fait fixer des droits en fonction des besoins particuliers de l’enfant, ou des disponibilités des parents.

Enfin, sur ce point, et d’autant plus en cas de difficultés à entamer un dialogue avec l’autre parent, il est indispensable de prendre contact avec un avocat, qui pourra, quant à lui, entamer ce dialogue avec l’avocat adverse, et, éventuellement, finir par trouver un accord.

 

  • La pension alimentaire

 

Là encore, il s’agit d’un élément source de beaucoup de conflits entre les parents.

Dans le cas d’une séparation, ce que nous nommons « pension alimentaire » est en réalité appelée, dans un jargon plus technique, « contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant » par le Juge.

Cette formulation permet de saisir le sens de la pension alimentaire : elle a pour seul et unique objectif de permettre au parent qui garde le plus souvent l’enfant de subvenir à ses besoins.

Ainsi, la pension alimentaire ne doit pas avoir pour vocation d’assurer le niveau de vie des parents.

Le calcul du montant de cette pension alimentaire peut apparaitre complexe, car il va dépendre d’une multitude de facteurs, dont l’âge de l’enfant (les besoins évoluent avec l’âge) ou les ressources et charges des parents.

Il est donc primordial que vous communiquiez l’intégralité de vos justificatifs de ressources et charges à votre avocat afin que celui-ci puisse calculer au mieux le montant de la pension alimentaire.

 

  • L’audition du mineur

Le droit français prévoit que l’enfant mineur peut être entendu par le Juge aux Affaires Familiales, afin qu’il puisse lui aussi exposer ses envies et ses attentes.

La possibilité de son audition vient du principe que le mineur est, au final, le premier concerné par la décision que va rendre le Juge, et qu’il a finalement lui aussi « son mot à dire ».

Mais attention, le mineur ne peut être entendu que dans des conditions très strictes :

  • Il doit être suffisamment grand pour pouvoir clairement exprimer son ressenti. Si les textes de loi ne prévoient pas d’âge minimum, on constate qu’en pratique les Juges n’entendent pas les mineurs avant au moins 8-9 ans, sauf exception (par exemple une maturité précoce chez l’enfant) ;
  • Si le mineur n’est pas obligé légalement d’être accompagné par son propre avocat, la présence de celui-ci est très fortement recommandée. Cet avocat ne peut jamais être l’avocat d’un des parents. Il est en effet important pour le Juge de vérifier que l’enfant n’est pas « instrumentalisé » par l’un des deux parents, dans le but de reproduire un discours qui irait dans son sens.

 

De même, il est important de comprendre que si le Juge tient bien évidemment compte des propos tenus par l’enfant, il n’est jamais obligé d’y faire droit.

Comme nous l’avons précédemment expliqué, le Juge ne rend sa décision que sur le critère de l’intérêt de l’enfant, qui n’est parfois pas forcément ce dont l’enfant à envie.

Là encore, il sera important d’évoquer cette question avec votre avocat.

 

Guillaume LAVERDURE, Avocat

02 Fév 2019

La procédure Dublin, les demandes d’asile en Union Européenne

I) Qu’est-ce qu’une « procédure Dublin » ?

Lorsqu’un étranger (ressortissant d’un Etat non membre de l’Union Européenne, ou apatride) souhaite déposer une demande d’asile en Europe, un dispositif spécifique va s’enclencher.

Il s’agit du Règlement Européen n°604/2013 du 26 juin 2013, appelé communément Règlement Dublin III (bien qu’il ait été fait à Bruxelles).

Ce règlement a pour fonctions exclusives de définir quel Etat de l’Union Européenne (ainsi que la Norvège, la Suisse, l’Islande et le Liechtenstein) doit étudier cette demande d’asile, et comment s’organise le transfert du demandeur d’asile entre deux pays d’Europe.

Il est important de préciser que la procédure Dublin ne sert en aucun cas à déterminer si la personne doit bénéficier de l’asile ou plus largement d’une protection contre le pays qu’elle a fui, mais seulement à déterminer quel Etat d’Union Européenne est responsable de l’étude de sa situation.

 

II) Comment est défini l’Etat responsable au moment du dépôt la demande d’asile ?

Lorsqu’un étranger vient demander asile dans un Etat d’Union Européenne, les autorités de cet Etat (les Préfectures en France), vont systématiquement rechercher si cette demande ne relève pas d’un autre Etat d’Union Européenne.

Pour cela, elles font utiliser plusieurs mécanismes de contrôles.

 

1°) Premièrement, l’étranger va être entendu lors d’un entretien, si nécessaire avec l’assistance d’un interprète. Cet entretien a notamment pour objectif de définir l’identité de la personne, son pays d’origine, quels Etats elle a traversé, si elle a déjà sollicité l’asile dans un autre Etat et si des membres de sa famille vivent au sein de l’Union Européenne. Ses empreintes digitales sont également relevées à cette occasion.

L’étranger reçoit alors une copie du compte-rendu de l’entretien, ainsi que deux brochures d’information, dans une langue qu’il comprend, concernant la prise d’empreintes, et sur la procédure Dublin.

 

2°) Deuxièmement, grâce aux empreintes digitales qu’elles viennent de relever, les autorités de l’Etat vont consulter deux fichiers de données européens : le fichier européen des visas (Visabio) et le fichier des empreintes appelé Eurodac.

Le fichier Visabio permet de vérifier si l’étranger a déjà obtenu un visa pour entrer dans un autre pays d’Union Européenne.

Le fichier Eurodac permet de déterminer si l’étranger a déjà traversé d’autres Etats d’Union Européenne (ou la Norvège, la Suisse, l’Islande et le Liechtenstein, aussi concernés par le Règlement Dublin III). Les empreintes du fichier Eurodac sont relevées à 3 occasions :

  • Lorsque l’étranger dépose une demande d’asile (les empreintes sont alors conservées pendant 10 ans dans le fichier) ;
  • Lorsque l’étranger est interpelé au moment où il franchit une frontière lui permettant d’entrer en Union Européenne (les empreintes sont alors conservées pendant 18 mois) ;
  • Lorsque l’étranger est interpellé alors qu’il se trouve en situation irrégulière dans un Etat et qu’il paraît opportun de vérifier s’il n’a pas déjà déposé une demande d’asile (les empreintes ne sont conservées que le temps de la recherche dans le fichier).

 

3°) Troisièmement et enfin, les autorités vont analyser ces informations et définir si un autre Etat membre est responsable de la demande d’asile.

Les règles sont les suivantes :

  • Si un autre Etat a déjà été ou est déjà en charge d’une précédente demande d’asile, il reste responsable de cette demande et de toutes les suivantes, que la première demande soit encore en cours, ou qu’elle ait déjà été rejetée ;
  • A défaut, c’est l’Etat par lequel l’étranger est arrivé au sein de l’Union Européenne (l’Italie, la Grèce, l’Espagne ou le Portugal dans la majorité des cas) qui est responsable de la demande d’asile, si cette dernière a été déposée moins de 12 mois après l’arrivée de l’étranger en Union Européenne ;
  • A défaut encore, c’est l’Etat dans lequel l’étranger a séjourné pendant plus de 5 mois consécutifs qui devient responsable ;
  • A défaut encore, c’est le dernier Etat dans lequel l’étranger séjourne qui est responsable de l’examen de la demande d’asile.

 

Il existe des exceptions à ces règles. Les principales concernent la situation des mineurs dont les intérêts sont préservés au maximum, celle des personnes dont des membres de la famille (la famille étant ici entendue de façon très restrictive) bénéficient déjà d’une mesure de protection (asile ou protection subsidiaire) en Europe, ainsi que celle des personnes qui ont déjà un titre de séjour ou un visa dans un autre Etat.

 

En outre, il est essentiel de préciser que le Règlement Dublin III prévoit que le transfert vers l’Etat censé être responsable de l’examen de la demande d’asile ne doit pas être réalisé lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que cet Etat connaît des défaillances systémiques dans la procédure d’asile ou les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, qui pourrait exposer les migrants à des traitements inhumains et dégradants.

Hélas, cette exception est rarement retenue par les juridictions (en France notamment), malgré certaines situations dramatiques et connues.

 

Enfin, chaque Etat dispose d’une « clause discrétionnaire » qui l’autorise à s’affranchir de tous ces critères et lui permet ainsi de décider d’examiner lui-même la demande d’asile d’un migrant.

 

III) La décision de transfert et les recours

Lorsque l’Etat saisi d’une demande d’asile estime que c’est un autre Etat européen qui est responsable de l’examen de cette demande, il envoie une demande de prise en charge à cet Etat, au moyen de formulaires standardisés. L’autre Etat doit alors répondre mais, son silence est considéré, au bout d’un certain délai, comme un accord tacite au transfert et à la prise en charge du demandeur d’asile.

Les délais impartis pour faire la demande de prise en charge, et pour la réponse de l’autre Etat varient en fonction des critères ayant permis de déterminer l’Etat responsable.

L’Etat où se trouve l’étranger dispose alors d’un délai de 6 mois pour transférer le demandeur d’asile vers l’Etat responsable. S’il laisse passer ce délai, il devient responsable lui-même et ne peut plus opérer le transfert. Il est à noter que ce délai passe à 12 mois si le migrant est emprisonné, et à 18 mois s’il a pris la fuite pour échapper à son transfert.

 

Avant de pouvoir transférer le demandeur d’asile l’Etat doit alors prendre une décision de transfert, en France sous la forme d’un arrêté.

Cet arrêté peut être contesté par la voie d’un recours gracieux ou hiérarchique (généralement très peu utiles en pratiques) dans le délai de deux mois, mais surtout par un recours juridictionnel devant le Tribunal administratif, dans le délai de 15 jours.

 

Attention, ce délai de recours n’est que de 48 heures (heure pour heure, minute pour minute, samedis, dimanches et jours fériés inclus) à compter de la notification de l’arrêté, si ce dernier est accompagné – ce qui est très souvent le cas en pratique – d’une décision d’assignation à résidence ou de placement en centre de rétention administrative.

 

Attention également, la demande d’aide juridictionnelle ne suspend pas le délai de recours.

 

Il faudra donc être extrêmement réactif pour exercer ce recours dans les délais. Le recours à un avocat n’est ici pas obligatoire mais vivement recommandé, comte tenu du caractère très technique de ces procédures. Certains Barreaux de France ont organisé des permanences afin d’aider les demandeurs d’asile pour ces procédures d’urgence.

 

IV) Faut-il faire un recours ?

Il est essentiel de consulter un avocat et/ou une association de défense des droits des étrangers pour vous aider à déterminer s’il est utile de faire un recours ou non.

 

Le recours a plusieurs effets importants. Le premier est qu’il suspend, jusqu’à ce que le jugement du Tribunal administratif soit rendu, la décision de transfert. Cela signifie que la Préfecture n’a pas le droit de transférer le demandeur d’asile avant que le Tribunal ait statué. Attention cependant, le recours ne suspend pas l’assignation à résidence ou le placement en centre de rétention administrative. Si l’étranger ne respecte pas l’assignation à résidence, il risque d’être considéré en fuite, avec pour conséquence grave de faire passer le délai maximal de transfert de 6 à 18 mois.

Le caractère suspensif du recours ne justifie cependant généralement pas, à lui seul, l’exercice du recours dans la mesure où, dans la majorité des cas, l’affaire sera jugée moins d’une semaine après l’arrêté de transfert.

 

L’autre effet essentiel est que ce délai maximal de transfert (de 6, 12 ou 18 mois selon le cas) est interrompu. Cela signifie donc que ce délai, s’il n’est pas expiré au moment du recours, repartira de 0 à partir de la date du jugement.

Si le délai maximal de transfert est en passe d’expirer, il sera donc peut-être plus judicieux de ne pas faire de recours.

 

Enfin, le jugement du Tribunal administratif peut faire l’objet d’un appel devant la Cour administrative d’appel, dans le délai d’un mois à compter de la notification du jugement.

Cependant, en la matière, cette voie de recours est rarement utile, d’un part en raison du peu de décisions favorables en appel, et d’autre part et surtout car l’appel n’est pas suspensif, ce qui signifie que le demandeur d’asile pourra (et certainement sera) transféré avant que la Cour administrative d’appel ait statué.

 

L’aide juridictionnelle n’est en la matière pas automatique mais les demandeurs d’asile, n’ayant pas ou peu de ressources en France, rempliront généralement les conditions pour en bénéficier.

 

Arnaud TOULOUSE, Avocat

22 Avr 2018

J’ai acheté un véhicule d’occasion et il est tombé en panne, que faire ?

Je vous indique en préambule que cet article n’aborde pas du tout les différents fondements juridiques à une action juridique en cas de panne de votre véhicule, mais traite uniquement des démarches et procédures que vous pouvez engager dans un tel cas de figure. Il faudra notamment être vigilant aux questions de prescription s’il s’est écoulé pas mal de temps depuis la vente. Bonne lecture !

Vous avez récemment acheté une voiture ou une moto d’occasion à un particulier ou à un professionnel, peut-être à la suite d’une annonce trouvée sur un site Internet de vente ou d’annonces commerciales (de type LeBonCoin, La Centrale, etc…).

Première chose, je ne peux que vous recommander la plus grande vigilance, lorsque vous pensez avoir trouvé votre bonheur sur ce type de sites d’annonces. Je vous proposerai de bons réflexes à adopter lorsqu’on envisage de faire un achat par ce biais dans un article distinct.

Vous avez donc acheté ce véhicule d’occasion. Vous vous êtes peut-être même rendu loin de chez vous pour aller chercher ce véhicule. Et finalement, vous vous retrouvez avec une épave. Votre véhicule est tombé en panne de façon anormale, ou présente des défauts importants qui le rendent inutilisable, ou difficilement utilisable.

Que faire dans un tel cas ?

I) La démarche amiable

La première des choses à faire, comme dans bien des domaines, est de contacter le vendeur pour tenter de trouver une solution amiable (remboursement et restitution du véhicule, réparation dans des conditions satisfaisantes, etc…).

Si vous trouvez un arrangement, pensez à rédiger un écrit, en autant d’exemplaires que de parties, pour laisser une trace de cet accord et de son origine, on ne sait jamais. En matière de véhicule, un transfert de propriété comporte également des obligations déclaratives. Il faudra donc penser, si vous rendez le véhicule au vendeur, à s’assurer auprès de la Préfecture que la carte grise est à nouveau changée, afin de ne plus pouvoir être considéré comme propriétaire du véhicule.

Vous pouvez, si vous estimez avoir besoin d’assistance, ou si le problème vous semble complexe, faire appel à un Avocat, à votre assureur protection juridique ou à une association de défense des consommateurs, pour gérer ces démarches amiables avec vous. La recherche de solution amiable peut aussi passer par un passage devant un Conciliateur de Justice.

II) L’expertise

Si une première approche amiable n’est pas suffisante, ou si vous n’arrivez pas à contacter le vendeur, il va falloir rechercher une autre solution.

En matière automobile, et à défaut d’accord amiable, ayez bien conscience qu’il existe une mesure centrale, qui détermine l’issue de la majorité des litiges : l’expertise.

En effet, si vous avez un litige et que vous n’arrivez pas à le régler à l’amiable, vous allez devoir faire appel à une autre personne, impartiale, pour résoudre votre problème : le Juge. Et ce Juge, il n’a pas à vous croire sur parole, quand vous dites que votre voiture est pourrie. Et ce Juge, il ne met pas forcément sa tête dans un carburateur les dimanche matin avant d’aller chercher son pain.

Il est donc essentiel de demander à un expert d’examiner votre véhicule et de consigner son avis technique dans un rapport pour décrire quels sont les problèmes du véhicule, quelle est leur origine, et quels sont les moyens de les corriger.

Il existe deux types d’expertises : l’expertise amiable et l’expertise judiciaire.

A) L’expertise amiable

L’expertise amiable est celle mise en place par vous, ou plus souvent par votre assureur automobile ou protection juridique. L’expert, qui n’est pas nécessairement un expert inscrit sur la liste des experts judiciaires auprès de la Cour d’appel de son lieu de travail, va généralement convoquer l’ensemble des parties et leurs assureurs éventuels, va représenter vos intérêts et examiner le véhicule. Il va ensuite rendre son rapport.

L’expertise amiable a des avantages. Elle est notamment gratuite pour vous si elle est mise en place par votre assurance. Elle est en général assez rapide.

En revanche, elle présente des inconvénients majeurs. En réalité, l’expertise amiable va bien souvent ne constituer qu’un préalable, pas forcément indispensable, à une expertise judiciaire. En effet, sauf à ce qu’un accord amiable (entre assurances notamment) n’intervienne, il va falloir saisir la justice à l’issue du rapport d’expertise.

Or, le Juge va souvent rejeter vos demandes si vous ne lui présenter que votre rapport d’expertise amiable, même s’il vous est favorable. Pourquoi ? Parce que ce rapport émane d’un expert qui ne représente que vos intérêts en réalité, et qui ne présente donc pas les mêmes garanties d’indépendance qu’un expert judiciaire. Egalement parce qu’un expert amiable n’est pas soumis aux mêmes obligations strictes que l’expert désigné dans par un magistrat (même si un expert judiciaire peut parfaitement faire des expertises amiables) en matière notamment de respect du contradictoire.

B) L’expertise judiciaire

Il va donc souvent falloir demander une expertise judiciaire.

Ce qui fait qu’au final l’expertise amiable n’aura pas servi à grand-chose, voire même aura été contreproductive car les experts amiables auront peut-être dû faire des manipulations pour leur examen qui vont fausser ou rendre plus difficile le travail de l’expert judiciaire qui ne trouvera pas le véhicule dans son état initial.

L’expertise amiable n’est donc pas toujours utile et nécessaire. Un Avocat pourra vous conseiller en fonction de la situation.

En revanche, il faut bien avoir conscience que l’expertise judiciaire a un coût beaucoup plus important que l’expertise amiable, de l’ordre bien souvent de plusieurs milliers d’euros, et coûte parfois à elle seule plus chère que le véhicule lui-même. Or, c’est celui qui demande l’expertise judiciaire – c’est-à-dire vous dans notre cas de figure – qui devez avancer les frais d’expertise (cela s’appelle une consignation).

Si vous avez une assurance protection juridique, ce sera votre assureur qui fera cette avance. De même si vous bénéficiez de l’aide juridictionnelle, vous n’aurez pas à payer de consignation. Mais si vous n’êtes pas dans l’un ou l’autre cas, ayez bien conscience de cela. Car si vous ne pouvez pas payer la consignation, l’expertise ne débutera tout simplement pas.

III) L’après-expertise

Enfin, une fois le rapport d’expertise judiciaire rendu, et s’il retient la responsabilité de votre vendeur, un accord pourra être trouver avec la partie adverse, ou vous pourrez engager une nouvelle action en justice pour faire demander que votre affaire soit tranchée et faire valoir vos droits (réparations, remboursement, indemnisation, etc…).

Dans l’ensemble de ces démarches, le rôle d’un Avocat est de vous accompagner, vous conseiller, vous dire quelle est selon lui la meilleure solution à chaque phase de la procédure, de vous trouver les arguments juridiques pour appuyer vos demandes, et de vous représenter en justice. Les litiges automobiles, en particulier leurs implications procédurales, ne sont pas aussi simples qu’ils en ont l’air et il est souvent préférable d’être assisté d’un Avocat pour vous défendre.

Avoir souscrit une assurance protection juridique avant que votre problème n’apparaisse s’avèrera également extrêmement utile dans ce genre de situation, puisque votre assureur pourra mettre en place une expertise amiable si besoin, avancer les frais d’expertise judiciaire et prendre en charge tout ou partie des honoraires de votre Avocat.

Arnaud TOULOUSE, Avocat